Citoyenneté, LES UNS LES AUTRES

Le 13 novembre 2025

La résistance inattendue, dans les années 80, à la construction de 4 grands barrages sur la Loire a d’étranges résonances avec l’actualité. « Au pied du barrage » relate comment une poignée de citoyens a réussi à changer la doctrine de l’Etat ; des élus, enfin, se sont mis à écouter les habitants ; des compromis ont été trouvés. 

Nous faisons le lien avec le formidable sursaut de 2 millions d’individus qui ont fait entendre pacifiquement leur désapprobation cet été avec une pétition contre la loi Duplomb. Leur message commun pourrait se résumer ainsi : « Nous voulons une plus intense protection de la vie. »

Le livre Au pied du barrage, La lutte oubliée pour la Loire sauvage raconte l’épopée joyeuse qui a permis de préserver le dernier grand fleuve sauvage d’Europe qui traverse notre département. Revigorant et inspirant. 

livre au pied du barrage la lutte  oubliée martin arnould

AU PIED DU BARRAGE, LA LUTTE OUBLIEE POUR LA LOIRE SAUVAGE

Martin Arnould – Edition Actes Sud, Collection Domaine du possible

Rencontre avec son auteur, Martin Arnould

Martin Arnould est un défenseur des fleuves et rivières depuis la lutte de Serre-de-la-Fare, débutée en 1986. Homme de compromis, il a cherché, parmi d’autres personnes engagées des solutions alternatives à la bétonisation en faisant réfléchir ensemble la société civile, des scientifiques et des élus.

Il est président du Fonds pour la Conservation des Rivières Sauvages, membre du Comité National de l’Eau, d’Ere 43, du Chant des Rivières. Il a réalisé un guide sur la petite hydroélectricité écologique avec Energie Partagée et est auteur d’un essai qui se lit comme un roman. 

Son travail au WWF, à SOS Loire vivante, à Rivières Sauvages, au Chant des Rivières ainsi que la publication de son récit contribuent à rappeler que les rivières sont vivantes et qu’il existe des solutions pour éviter les grands projets inutiles et gérer le risque d’inondation.

Une remise en cause de notre domination sur la nature

Strada : Il s’est passé plus de 30 ans depuis la lutte pour la préservation de la Loire sauvage et l’occupation du site de Serre-de-La-Fare.  Qu’est ce qui a motivé son écriture ? 

Martin Arnould : J’ai écrit ce récit réduit à l’essentiel en 3 ans, avec l’aide de mon éditrice Anne de Malleray, pour présenter une histoire abordable à ceux qui ne connaissent rien aux questions d’écologie et de préservation des fleuves. Il fallait que ce premier grand succès écologiste, oublié, revienne dans nos mémoires, les nourrisse.

Globalement c’est une interrogation sur notre domination sur la nature avec une focale mise sur l’eau, les fleuves et rivières que nous avons trop artificialisés. Les zones humides et les cours d’eau avaient été au coeur de nos vies pendant des millénaires. On vivait à leurs cotés. On utilisait raisonnablement leurs ressources : l’eau potable, l’irrigation à petite échelle, la pêche, leur force motrice, on célébrait leur beauté dans nos mythes, peintures, chants…

Puis nous avons réduit nos fleuves à des seuls objectifs utilitaristes, produire de l’énergie, stocker l’eau, urbaniser. Ils sont sortis de nos imaginaires. Nous n’avons plus de relation quotidienne avec eux. Nous les avons oubliés, voire enterrés. À Saint-Etienne, on roule sur Le Furan…

Trouver des compromis

On nous avait dit que nos fleuves étaient sous contrôle. Or des crues terribles nous rappellent régulièrement que ce n’est pas le cas, que la nature est plus forte que nous. La crue dévastatrice de Brives-Charensac en septembre 1980 avait tué 8 personnes et causé 100 milllions d’euros de dommages. SOS Loire Vivante et Loire Vivante, le collectif qui luttait sur tout le fleuve contre d’autres projets de barrages se sont battus pendant 10 ans, accompagnés par des scientifiques, contre la décision des élites républicaines pour initier une gestion du risque différente. Nous avons été entendus.

« Maintenant les crues passent, causent moins de dégâts. »

La dernière, le 17 octobre 2024 à Brives-Charensac n’a tué personne et les coûts des dommages a été divisé par 20. Le déplacement en 1996 des trois usines installées en zone inondable, le creusement du lit, la construction de trois seuils amovibles, l’amélioration de l’alerte, de la culture du risque ont permis de concilier la vie de la cité avec les grandes crues, sans détruire la Haute Vallée de la Loire. Ça marche. Les élus le reconnaissent, ce qui nous rend très fiers, et heureux. La meilleure façon de gérer le risque d’inondations, c’est de redonner leur espace aux cours d’eau.

Strada : Quel a été le déclic qui t’a fait t’engager pour défendre le fleuve Loire ?

Martin Arnould : C’est plutôt de l’imprégnation. J’ai découvert enfant le lien au vivant grâce à mes parents qui m’emmenaient camper dans la haute vallée de la Loire. J’ai eu la chance de voyager. En bon Français, j’étais plutôt défaitiste mais j’ai vu comment les Américains défendaient la nature face aux menaces de saccage. Ca m’a donné conscience qu’il était possible de gagner contre des projets d’aménagements mal pensés, non débattus, ne prenant plus en compte les cultures de communautés, la beauté des paysages, les acquis des sciences naturelles sur les menaces pesant sur la biodiversité et les fragilités du Vivant. 

J’étais prof de gym, ne connaissais rien à l’écologie. Quand ma mère m’a informé du projet de barrage, je rentrais d’une traversée de l’Atlantique à la voile. Je me suis engagé totalement avec elle, mon père, aux côtés des habitants, paysans, imprimeurs, étudiants, entrepreneurs, garagistes, éducateurs, représentants de commerces, boulangers, tant de simples citoyens qui ne voulaient pas de ce barrage. L’exemple du succès dans l’opposition au projet de barrage de Hainburg, en Autriche,près de Vienne dont le chantier avait été stoppé par une mobilisation populaire nous a fait passer en 1989 le pas ardu de la désobéissance civile.

camp au gîte de la sere de la fare 1989
« Pendant 5 ans nous avons occupé le site de Serre-de-La-Fare »

Nous avons patiemment construit un rapport de force et d’intelligence. Pendant 5 ans nous avons occupé le site de Serre-de-La-Fare. Roberto Epple, du WWF International, y a vécu dans son camping-car. Le campement était composé de tentes, puis de cabanes, dont une confortable, incendiée durant Noël 1992. Il fallait supporter le froid l’hiver, l’inconfort. Des personnes venues de toute l’Europe ont rejoint les habitants qui se relayaient sur le site. Une expérience de solidarité humaine inoubliable, fondatrice. Une partie de mon travail a été de maintenir l’unité entre des personnes très différentes, d’aider à rechercher des alternatives pour un équilibre entre l’activité humaine, de cherches des financements et de mobiliser en faveur de la sauvegarde des poissons migrateurs, notamment du Saumon de la Loire et de l’Allier. 

Nos actions ont participé à l’élaboration du Plan Loire Grandeur Nature, un aménagement pionnier à l’échelle du fleuve, présenté par le ministre de l’environnement Michel Barnier le 4 janvier 1994. Après une dizaine d’années de lutte contre les projets bétonnés nait un compromis, doucement révolutionnaire : les grands barrages sont abandonnés ; des petits barrages qui n’ont plus d’utilité vont être supprimés, la gestion du risque d’inondation réinventée, accompagnée d’un nouvelle définition du rapport homme/fleuve. C’est la victoire du dernier fleuve d’Europe encore sauvage, car le moins aménagé, grâce à l’opiniâtreté de la société civile, des habitants du cru, de SOS Loire vivante, de Loire Vivante et des sympathisants du monde entier. 

loire sauvage barrages manifestation au puy en velay

Strada : Quel a été le point de bascule, ce qui a fait qu’une poignée de militants est devenue 15000 individus et a fait plier des puissants qui refusaient le dialogue ? 

Martin Arnould : Pour moi, avec du recul, plusieurs points essentiels ont fait basculer la situation à notre avantage. Reliés, ils forment une vraie ligne de force.

  • Les scientifiques du WWF avaient commencé à travailler l’accompagnement des Etats pour restaurer les fleuves. Leurs travaux irriguent le courant Loire Vivante dès 1986.
  • Le journalisme. Suite à l’annonce par l’État de la construction de barrages, tout le monde considérait en Haute Loire que c’était chose faite. On pensait que la lutte se focaliserait sur l’Allier, autour du projet de barrage du Veurdre, vers Moulins. Ce qui a réveillé la communauté à Serre-de-La-Fare, ce sont les deux pages écrites par un journaliste, Jean Grimaud, pêcheur amoureux inconditionnel du fleuve. Il a tenté d’arrêter l’inarrêtable. Je rends hommage aux journalistes et à la liberté d’expression.
  • Le rapprochement d’autres militants Jacques Adam, des Amis de la Terre, militant anti-nucléaire, lance la mobilisation locale. Et crée en 1986 en Haute-Loire le comité SOS Loire Vivante, informel, sans moyens. C’est lui qui nous informe d’une occupation de site en Autriche. Nous nous y rendons avec Nathalie, mon épouse et sommes impressionnés par la vitalité démocratique du peuple autrichien. Aidé par quelques militants écolos, le chantier de construction du barrage sur le Danube avait été bloqué. Nous prenons conscience que pour gagner, nous devons nous rapprocher de militants. Nous recevons de l’aide de Robin des bois, association parisienne qui utilise la désobéissance civile. Une nouvelle interview par Jean Grimaud nous donne de la visibilité. Petites et grandes ONG ont coopéré. C’est rare et fécond. 
  • La volonté de réussir, la Joie. Par chance, les gens qui se retrouvent autour de la lutte sont mus par une forme d’urgence et développent une volonté de réussir. Ils sont prêts à tout mettre en place pour gagner. La cause environnementale n’était pas populaire à l’époque, les associations étaient très faibles. Il n’existait pas de rapport de force. Les remises en cause aujourd’hui sont plus fortes et plus nombreuses. J’ai proposé d’occuper le site. Nous l’avons fait, avec une part d’inconscience, de courage et de foi, de confiance en nous. La contestation à Serre-de-La-Fare était joyeuse, fraiche, audacieuse. Des amitiés naissaient entre des gens différents, de Gauche, de Droite. Rien ne nous faisait peur. C’est ainsi que nous avons réuni 15 000 personnes au Puy en 1989. Venues de toute l’Europe et fait un excellent score aux élections municipales du Puy-en-Velay de 1989, avec Régine Linossier et Gilles Brun.

« Nous avions la conscience qu’il était possible de gagner. »

1989 manifestation le puy en velay loire sauvage
15 000 personnes sont venues manifester au Puy en 1989 pour défendre le dernier fleuve d’Europe encore sauvage. SOS Loire vivante, photo Marc Gay

Strada : Quel combat t’anime encore aujourd’hui ? Y a t-il un enjeu sociétal et environnemental qui te semble essentiel ?

Martin Arnould : Je travaille toujours sur la question de l’eau douce et à la construction d’un dialogue homme/rivières. 

Nous avons pris conscience de la gravité de la crise environnementale et de l’impératif de modifier notre rapport à la nature. Elle existait à peine il y a 40 ans. Aujourd’hui nous pouvons plus facilement voir les aspects négatifs des grands barrages. Ils sont utiles, mais causent aussi des dommages massifs. On peut envisager d’en enlever certains, de les remplacer par d’autres aménagements plus légers. J’en parle dans mon livre avec l’exemple du Nouveau Poutès, sur le Haut Allier. 

La sauvegarde des poissons migrateurs intéresse peu de monde en dehors des pêcheurs. Anguilles et saumons sauvages sont moins populaires que les oiseaux. Cela change. Je me réjouis que la région Aura soutienne enfin fortement le Conservatoire du Saumon Sauvage et son indispensable travail de repeuplement. Il faut sauver le saumon de la Loire et de l’Allier, un emblème de notre territoire. 

Je préside également un fonds de dotation pour les rivières sauvages. Nous nous efforçons de faire bosser ensemble les agriculteurs, habitants, pêcheurs, élus, pour montrer que la biodiversité et la beauté des rivières génère des valeurs, des richesses, du lien. Il existe 30 rivières labellisées Site Rivières sauvages en France, pas encore en Haute Loire. J’aimerais que nous y parvenions. Pour la transition énergétique, mon job est de faire en sorte que les groupes qui s’intéressent aux énergies renouvelables, mais pas forcément à la biodiversité, viennent à traiter avec considération la question de protection de la nature. Pour certains je suis un commercial de l’éolien, pour d’autres un écolo pas réaliste… Je compose. Tout un art. Je m’intéresse fondamentalement à rechercher à fabriquer du commun : porter des enjeux qui ont du sens, créer des espaces de dialogues, apprendre à se parler, trouver des compromis… Il le faut.

« Nous avions la joie d’être ensemble et de se battre pour quelque chose de plus grand que nous. »

Militant de Serre-de-la-Fare

Depuis la sortie de « Au pied du barrage », Martin Arnould participe à des rencontres autour du livre. Il a retrouvé des militants de Serre-de-la-Fare heureux qu’un livre parle de leur engagement, du courage de ces « petites gens » qui se sont bougés pour protéger leur environnement :  « Nous avions la joie d’être ensemble et de lutter pour quelque chose de plus grand que nous. Nous avons gagné, contre toute attente, contre les décisions des élus. Raviver le souvenir de cette bataille à l’issue réjouissante et improbable nous rappelle que nous, la société civile, avons du pouvoir. Cela donne de l’espoir pour les luttes actuelles. 



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