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Le 22 septembre 2025
Il est des lieux qui vous marquent profondément – une histoire, une ambiance, une impression… – Ils s’impriment en une image mentale multisensorielle, un paysage intime où l’on revient parfois puiser des souvenirs heureux. La promenade aux ruines mystérieuses du château surplombant le village de Goudet en est un. Le chemin escarpé serpentant dans le jaune vif des genêts en fleurs, leur parfum insistant sous la lumière printanière, mon jeune enfant dans les bras, et l’eau vive de la Loire en contrebas où nous avions trempé nos pieds… tout cela m’était resté parfaitement en mémoire. Trente ans plus tard, j’emprunte une calade restaurée. Dans les chambées et tout autour, l’alignement des vignes a remplacé les buissons sauvages. Les pierres ne dévalent plus la pente. Un drapeau signale que la forteresse a été reprise. Jean-Jacques et Emina ne sont pas des chefs de guerre, c’est de façon tout à fait pacifique qu’ils sont devenus propriétaires du château de Beaufort, perché au dessus d’un méandre de la Loire où la famille Julien se rendait avec bonheur pendant les vacances. Une ancienne photo en noir et blanc, scène de baignade sur la plage de Goudet, atteste de ces moments simples et doux.
Le couple occupe le site d’une manière qui ne relève pas de l’art de la guerre mais de l’art de vivre. C’est avec beaucoup de délicatesse qu’ils ont sauvegardé les ruines, révélé le lieu, et créé une habitation éphémère qui ne dénature pas l’ensemble historique.
Rencontre avec Jean-Jacques et Émina Julien, architectes, sauveurs et occupants du château de Beaufort-Goudet
Un coup de tête, deux fulgurances
L’architecte sort ses crayons et commence à dessiner une construction fantasmée, avec des tourelles à la Louis II de Bavière. Se ravise. Et recommence. Une nouvelle fulgurance. Et si on occupait les ruines, pas en monument historique mais en habitation ? II se recentre sur un volume, une masse. En quelques minutes apparait sur le papier ce qui deviendra, à quelques détails prêt, le résultat actuel.
« J’ai acheté le château sur un coup de tête, raconte Jean-Jacques, coutumier du fait, mais tout de même surpris par son audace, voire son incohérence. « On n’était pas partis pour acheter un tas de cailloux. » Passionné de chevalerie, un goût qu’il partage avec son fils cadet, il cherchait alors une petite maison forte, habitable, où il pourrait passer un peu de temps… Il apprend que les ruines au-dessus de Goudet sont à vendre. « Il ne restait que trois bouts de murs dans un état épouvantable, souillés par des campements sauvages. » Quelques cartes postales et un bout de plan, présentés par le propriétaire, sont accompagnés d’un avertissement : « Le site est classé aux Monuments historiques. » Qu’importe. Dans une fulgurance, l’architecte se porte acquéreur du château de Beaufort, ou plutôt de ce qu’il en reste : quelques pierres dans un environnement magnifique. Sans avoir la moindre idée de ce qu’il allait en faire.
« J’ai appelé mon père pour lui annoncer la nouvelle. Il est architecte aussi, un Parisien cultivé, mais avec les pieds profondément ancrés dans la terre de la Haute-Loire. Il m’a d’abord raccroché au nez. Pour lui, on n’achète pas quelque chose qui ne sert à rien. »
Pour Emina aussi, c’est une surprise. Elle se souvient d’une vieille rengaine de son mari et de son fils : « Un jour, on achètera un château. » Un sorte de jeu entre eux, enfantin et complice. Une intuition, peut-être ?
Faut-il suivre son instinct ?
Nombreux sont les acquéreurs d’un terrain ou d’une maison qui racontent la rapidité de leur décision. Une immédiateté, une urgence. Comme si elle échappait avec bonheur aux circuits de la rationalité.
Un peu d’histoire
Des traces d’occupation du site remontent au VIIIe siècle. Sa position dominante au-dessus de la Loire, offrant une vue à 360°, lui confère un avantage stratégique. Au XIIe siècle, il devient un castrum, puis, au XIIIe siècle, château des seigneurs de Goudet, entre celui d’Arlempdes et celui de Pouzol. Ennoblis, porteurs du titre de vicomté, ils accomplissent des travaux pharaoniques et ajoutent des fortifications.
Les propriétaires se succèdent, jusqu’à ce que le château de Beaufort devienne bien national à la révolution française et que son démantèlement soit ordonné. Ce processus prendra plusieurs années. En 1824, le château était encore debout. Ce qu’il en reste a été inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1994.
Jean-Jacques Julien, architecte parisien originaire de Haute-Loire, en devient propriétaire en 2008. Il met fin à la destruction, consolide les murs et replante des vignes.
Composer avec un monument historique
Contre toute attente, alors qu’ils ont le projet d’habiter le site classé, Jean-Jacques et Emina obtiennent l’autorisation de travaux. Avec le recul, peuvent-ils nous éclairer sur cette décision surprenante ?
Les services de l’État précisaient deux conditions préalables : ne pas faire de fouilles et réaliser des travaux de confortation. Il a fallu nettoyer, déblayer les pierres, retirer la végétation. C’est avec émotion que de nouveaux espaces ont été découverts : une ancienne cuisine, un four, une salle voûtée, des passages… Tout a été consolidé, et certaines portions de murs ont été rebâties. Les services décisionnaires étaient sûrement satisfaits que la destruction du site ait été stoppée, alors que sa disparition semblait inéluctable. Et cela, sans qu’ils aient été sollicités pour financer l’opération.
Par ailleurs, construire une habitation sur place semblait une nécessité, au moins le temps des travaux, mais ne devait pas affecter le lieu. La nouvelle structure ne se cache pas, mais elle est conçue de manière à ne pas porter atteinte à l’existant.
S’appuyer sur des éléments existants sans leur faire concurrence
Le premier croquis de l’architecte s’appuyait sur le factuel, les éléments visibles. Il a imaginé la construction d’un bâtiment réversible, démontable, qui ne ferait pas concurrence aux ruines. Une habitation confortable située dans la partie haute du site, entre les vestiges de l’ancien château.
Sans fioritures, de larges surfaces vitrées sont recouvertes dans leur partie supérieure d’une sorte de bardage réalisé en branches de saule.
La toiture est végétalisée, c’est alors la première de Haute Loire, installée par l’entreprise Gayte !
L’insertion dans les ruines, la double peau en branchages et le toit végétal agissent comme une cape d’invisibilité.
Le défi de l’accessibilité
Perché sur son piton, il faut monter de 100 mètres au-dessus du village pour accéder au château de Beaufort. Créer un passage carrossable, étroit et pentu. Consolider les murs de pierre. Recréer les terrasses. Installer les réseaux : eau, électricité. Niveler les 200 mètres de surface habitable. Couler une dalle légère… Un hélicoptère approvisionne le chantier en matériaux et fait l’événement.
Qui est le fou qui construit un appartement dans les ruines de Goudet, se demande-t-on, intrigué. Les habitants vont apprendre à connaitre Jean-Jacques et Emina, qui partagent désormais leur vie entre Paris et Goudet, et, après les travaux, découvriront le site désormais ouvert à la visite.
Quelques visiteurs se montrent plus intéressés par la piscine que par l’histoire du château, ce qui déçoit systématiquement leur hôte. Jean-Jacques se fait un devoir et une joie d’ouvrir le portail de son château. Il a beaucoup d’anecdotes à raconter et aime éveiller la curiosité des plus jeunes à l’histoire médiévale et au patrimoine. Nous, aujourd’hui, c’est plutôt l’appartement qui nous intéresse.
L’appartement, à l’intérieur des ruines
L’ appartement est juste magnifique. Nous sommes saisis par la profondeur de l’espace, depuis le côté repas jusqu’au bord du salon, et au delà des parois vitrées qui s’étendent sur toute la hauteur. Les espaces communiquent entre eux et avec l’extérieur avec générosité. La vibration de la double peau de branchages participe à la lecture du volume et ramène le regard au niveau de l’horizon. Le paysage grandiose est ainsi cadré et resserré pour mieux en mettre la beauté en valeur. Il pénètre dans la maison sans pour autant la noyer. Il se dispute la première place avec les vestiges des murs en pierre, eux aussi mis en quelque sorte ‘sous verre’, pour mieux leur rendre hommage et les instituer élément essentiel de la décoration, à égalité avec le paysage.
Un loft au coeur du château
Le sol en béton est seulement recouvert de résine. Les rares parois qui ne sont ni en vitrage ni en pierres sont simplement blanches. Pour autant ce n’est ni austère ni nu. Le mobilier design, un assemblage de canapé, banquette, fauteuils au style marqué, de tableaux et d’oeuvres d’art un peu partout dans l’appartement, contribuent à une atmosphère à la fois luxueuse et cosy. On s’y sent bien.
Pour décloisonner l’espace à loisir, les rares portes blanches pivotantes, décentrées, restent maintenues ouvertes tant que l’on ne souhaite pas profiter de l’intimité de la salle de bain ou de la chambre.
Ainsi, depuis le salon, deux ouvertures latérales, de chaque côté de la cheminée, évitent toute rupture de communication entre les différents volumes. On aime particulièrement le traitement de cette circulation : le mur de pierres brutes, non jointoyé, est rythmé par les poutres structurelles en bois. Aucune n’est encastrée.
Deux petites chambres, compactes avec ouvertures indépendantes, ainsi qu’un bureau investi par Emina – elle l’utIlise comme atelier de peinture – complètent l’appartement.
Une cuisine extérieure à côté de la piscine
Nous sortons sous un soleil de plomb, empruntons la petite route goudronnée pour nous retrouver, une vingtaine de mètres plus bas, au bord de la piscine. C’est sportif d’habiter sur un piton rocheux ! Nous accédons à cette terrasse par une allée de traverses de chemin de fer, joliment blanchies par le temps.
Une cuisine extérieure, en partie couverte, crée un continuum avec l’espace de vie. La conception semble très simple : de la peinture noire sur la paroi en OSB, un bac acier rouge en toiture, un bar qui sépare l’espace technique de la table… mais elle est efficace et diablement agréable. Qu’est-ce qu’on est bien !
C’est l’occasion de porter un regard différent sur notre environnement. Les vignes omniprésentes ajoutent leur harmonie verdoyante à la poésie du lieu.
La vigne
Cet homme est intarissable lorsqu’il s’agit d’histoire. On lui pose une question sur les vignes et il s’embarque dans un récit historique, évoquant comment les seigneurs de Beaufort firent acte d’allégeance à l’évêque pendant plusieurs siècles, en lui concédant la jouissance d’un moulin et de terres. Or, les archives mentionnent justement l’existence de vignes sur ces terres attenantes au château.
Dès lors, notre hôte a décidé de redonner au paysage son décor viticole, en plantant dans les chambées et des terrains alentours qui n’ont jamais connu l’engrais, des cépages résistants aux changements climatiques. Pur hasard ou clin d’oeil du destin, il apprit que son petit-fils Pierre se formait en oenologie en même temps… C’est lui qui prendra en charge le domaine, dont les premières vendanges auront lieu cette année.
Ainsi, à chaque étape de sa reconstruction, le château de Beaufort reconquiert sa place. Lieu de vie vertueux et réversible, centre historique accueillant plusieurs centaines de visiteurs chaque année, il est aussi en passe de regagner sa légitimité économique.
Ses ruines, intelligemment sauvegardées, sont assurées de siéger encore longtemps sur les premiers méandres de la Loire sauvage…
Le drapeau reprend les couleurs des armoiries du Velay. Le « J » de Jean-Jacques Julien est tracé en écriture stylisée arabe en hommage à son épouse Emina, tunisienne.
Nous saluons les choix de l’architecte Jean-Jacques Julien qui a su maîtriser sa créativité pour sauvegarder la mémoire du château de Beaufort en révélant ses vestiges.
Jean-Jacques et Emina Julien CHÂTEAU DE BEAUFORT, 43 150 Goudet chateaudebeaufort.fr
Visite du château sur rendez-vous : 06 16 34 91 11
A retrouver sur STRADA, dans ma maison : « Les Herbes de la Saint-Jean »
Posté par Joëlle Andreys