Le 15 juin 2022
Edito 57 – STRADA été 2022
Un vent frais a soufflé sur notre printemps en surchauffe lorsque huit ingénieurs d’AgroParisTech ont prononcé un discours bousculant la cérémonie de diplôme de leur école. Ces jeunes refusent de rentrer dans le rang. Dénoncent la soumission de leur corporation au système agro-industriel qui «mène la guerre au vivant et à la paysannerie». Comme beaucoup, on a applaudi leur audace, leurs punchlines et leur conscience affûtée des excès de notre époque. Ces frais diplômés ne sont pas les seuls à s’élever contre le modèle dominant, le monopole d’industries polluantes et le soutien déraisonnable des États à des projets nuisibles. Et ce n’est pas que dans l’agriculture que ça pêche, tous les domaines sont concernés.
Nous aussi, nous sommes convaincus que ce n’est pas en reproduisant les mêmes erreurs qu’on tirera d’affaire notre planète, son climat, la biodiversité et nous autres, humains, par la même occasion.Ils bifurquent, ces jeunes, et on approuve leur changement de direction : l’un va faire du miel, une autre vivre de ses dessins, s’installer en agriculture paysanne, plusieurs choisissent le militantisme – ZAD, lutte contre l’accaparement des terres, contre le nucléaire… – pourquoi pas. À choisir, je préfère les rebelles aux soumis.
«Il y a quelque chose qui cloche dans le système» pointent-ils, évoquant le consumérisme vert et les labels hypocrites.Il y a aussi quelque chose qui cloche dans leur discours. Ils ne font pas que bifurquer ces jeunes, ils «désertent», disent-ils. Pas un.e n’a envie de se coltiner avec les défis de notre époque, de mettre son brillant cerveau à l’étude de solutions collectives. Ces jeunes gens qui ont eu la chance de suivre de grandes études et pour autant de garder un esprit critique, comment vont-ils transmettre leurs savoirs et leurs réflexions si ils s’isolent ? On a envie qu’ils prennent une part active dans le monde entrepreneurial, dans les cercles décisionnels, là où se joue notre avenir commun.
À STRADA, nous pensons qu’il est encore possible de changer les choses de l’intérieur. Nous avons confiance dans la capacité humaine à résoudre des problèmes complexes et graves. Nous ne deviendrons pas tous apiculteurs, artistes, ou participants d’un collectif sur la voie de l’autonomie ; d’autres chemins plus ordinaires ont tout autant de force et de potentiel de changement.
Bifurquons. Ne désertons pas.
Posté par Joëlle Andreys