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Le 16 septembre 2024
La Lumière des Femmes : Les Mamas Solaires
Rencontre avec Antoine Depeyre, co-réalisateur avec Elise Darblay du film La Lumière des femmes.
Un documentaire immersif qui suit l’émancipation d’une communauté féminine dans le royaume peul du Fouta Toro au Senegal. Assis dans le salon de sa maison familiale à côté de Rosières, Antoine Depeyre, souriant et passionné, partage son enthousiasme pour ce projet engagé et le film qu’il a réalisé.
Qui est Antoine ?
Antoine Depeyre, originaire de Saint-Étienne, s’est autorisé à changer plusieurs fois de vie.
D’abord il passe 10 ans à Grenoble pour faire du Snowboard son métier, il participe à des compétitions internationales de boardercross et devient entraineur. Il se reconvertit ensuite dans le domaine de la culture et de l’image pour aller vers le documentaire. Depuis 20 ans il se construit et évolue en participant à la création de films qui ont du sens.
Avec son binôme créatif, Elise Darblay, Antoine a travaillé sur plusieurs documentaires, comme Rio ville monde, AKZAK danser sur les frontières… et développe actuellement de nouveaux projets mais, cette fois-ci, plus proches de nous.
Elise et Antoine aiment travailler en immersion. Les 5 tournages étalés sur deux années pour réaliser La lumière des femmes leur ont permis de prendre le temps de comprendre et de documenter les changements progressifs qui se sont produit dans les communautés.
La collaboration entre Antoine et Elise, un homme et une femme, leur permet d’apporter des perspectives complémentaires à leur travail. Ils peuvent aborder les sujets sensibles et intimes différemment, en établissant des liens personnels avec les membres des communautés qu’ils filment.
Le film
A la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, des villages isolés, à plusieurs heures de piste de toute grande ville, n’ont ni réseau, ni électricité. Néné vit dans l’un de ces villages. Elle a entendu parlé d’une ONG qui se déplace actuellement dans la région pour proposer aux femmes de les former à l’énergie solaire à Dakar puis de revenir avec suffisamment de systèmes de production solaire pour alimenter toutes les cases du village. Les membres de cette ONG n’ont pas prévu de passer dans son village.
Elle qui n’a jamais quitté son village, elle décide d’aller les chercher, défiant son mari. Elle persuade l’ONG d’intégrer son village dans le projet. Les hommes résistent.
Mais emmenées par la courageuse Néné, une dizaine d’épouses bravent l’interdiction et quittent leur communauté pour la première fois.. Puis la formation de 5 mois à Dakar leur fait découvrir d’autres façons de vivre et donc de mettre en perspective leurs propres conditions. En prenant leur destin en main, ces femmes vont changer le sort du village.
« Nous avons accompagné ces femmes dans leur transformation au fil des mois. Elles ont découvert par elles-mêmes ce dont elles avaient vraiment besoin pour faire évoluer leur quotidien et celui de leur communauté. Il faut savoir que dès leur enfance, les femmes Peul de ces villages oeuvrent à la survie de tous. Elles sont assignées à des tâches essentielles mais souvent répétitives et épuisantes. Chercher l’eau, le bois, piller le mil, préparer les repas… Promises très jeunes, elles quittent leur parcelle vers l’âge de 12 -13 ans pour rejoindre leur mari polygame. Ces toutes jeunes filles doivent alors s’adapter à leur nouvelle famille avec laquelle elles resteront toute leur vie. C’est l’homme qui prend toutes les décisions importantes concernant la famille, la nourriture et les enfants.
Lorsque l’ONG a proposé aux chefs de village de former une femme de leur communauté, certains ont préféré renoncer à l’accès à l’électricité. Parfois par peur, parfois par jalousie et aussi pour préserver leurs traditions, leur culture. Mais dans la nouvelle génération, certains hommes donnent l’exemple en permettant à leur femme de travailler, réalisant ainsi les avantages qu’une telle évolution peut apporter.
Les femmes que nous avons filmées, celles qui ont décidé de partir en formation, ont posé un acte très courageux.
Dès qu’elles ont embarqué dans le bus, ,direction Dakar, une chape de plomb a semblé s’envoler, laissant place à des sourires et des chants. À leur arrivée, les femmes du village ont découvert la mer, la vie urbaine, l’eau courante et l’électricité, des choses qui leur étaient étrangères jusqu’alors. Elles ont vu que les femmes de Dakar travaillent et bénéficient d’une plus grande liberté, qu’elles se promènent seules ou entre amies. Elles ont également constaté qu’ailleurs les hommes contribuent plus aux tâches ménagères que dans leur village.
À leur retour, les femmes ont proclamé fièrement leur affiliation « Mamas Solars ». Leur enthousiasme a cependant rapidement été douché lorsque les hommes ont voulu s’approprier l’installation des panneaux solaires, remettant ainsi en question leur position en tant que femmes compétentes.
Heureusement, la situation a pris un tournant inattendu lorsque l’installation des hommes n’a pas fonctionné. Néné, l’aventurière, celle qui s’était enfuie du village pour aller chercher l’ONG, est alors encore intervenue pour finaliser correctement l’implantation des panneaux solaires. Avec sa détermination, son expertise et son esprit rebelle, elle a réussi sa mission d’apporter l’électricité au village.
C’est un tournant décisif dans la vie de ces femmes.
Elles ont réalisé qu’elles pouvait faire autre chose et vivre autrement. Rester dans leurs village et obéir aux traditions est aussi une source d’équilibre et de sécurité mais elles ont notamment pris conscience de la possibilité de mettre fin à la pratique des mariages précoces pour leurs filles, car lorsqu’on leur demande leur avis, elles préfèrent attendre l’âge de 18 ans avant de fonder une famille.
Ce qui leur manque le plus de leur expérience à Dakar ? L’apprentissage. Avoir une école est leur désir le plus profond et les femmes du village vont se battre pour cela. Désormais, ces femmes ont la possibilité de choisir leur vie. »
Propos recueillis par Floriane Allemand
Ce film ne se résume pas à une simple représentation d’un village de femmes en Afrique, il s’agit d’un récit sur la transformation d’une société par l’apprentissage. Il englobe des dimensions d’ethnologie, de philosophie et de sociologie. LA LUMIERE DES FEMMES
Film documentaire d’Elise Darblay et Antoine Depeyre – Produit par Fédération – 2023
Diffusé sur Arte, Canal+, Public Sénat…et dans de nombreux festivals engagés.
Posté par Floriane Allemand